Aujourd’hui, c’est un poème en prose que j’aimerais partager avec vous.
Ce poème a été rédigé par Claudie Brouillet; il est extrait de l’ouvrage Jurée d’assises. Dans les abîmes de l’enfance violentée.
Dans cet ouvrage, C. Brouillet témoigne de son expérience de jurée (« jurée titulaire numéro 11 ») au « procès en appel des pédophiles d’Angers ». Rappelons que l’affaire du « réseau pédophile d’Angers » commence en mars 2002 lorsqu’une jeune femme de trente-deux ans se rend dans un commissariat de la ville pour dénoncer les agissements de son ancien compagnon. Elle l’accuse d’avoir violé une fillette de cinq ans. L’enquête démarre alors, dévoilant des crimes particulièrement graves. La cour d’assises du Maine-et-Loire (réunie à Angers) rend le 27 juillet 2005 un premier verdict. Sur les soixante-cinq personnes renvoyées devant la cour d’assises, soixante et une sont condamnées à des peines allant de quatre mois d’emprisonnement avec sursis à vingt-huit ans de réclusion pour les faits suivants : non-dénonciation de crimes, corruption de mineurs, agressions sexuelles et viols aggravés commis sur quarante-quatre enfants âgés de moins de quinze ans. Douze accusés (essentiellement des hommes) choisissent de faire appel. Le procès en appel se déroule alors devant la cour d’assises de Loire-Atlantique du 2 février au 25 avril 2007. Une relaxe totale est prononcée au bénéfice d’un prévenu, mais les onze autres appelants sont à nouveau condamnés.
C. Brouillet a souhaité témoigner de cette expérience de jurée d’assises. Mais elle a voulu le faire en utilisant un moyen d’expression inhabituel : elle a ainsi rédigé dix-huit poèmes qui retracent le fil de la procédure (ouverture de la session de la cour d’assises, auditions des témoins, des enfants et accusés, délibéré).
Voici un de ses poèmes (extrait).
« Vous qui craignez de raconter aux petits enfants
des histoires qui fassent peur,
savez-vous que tout près de chez vous
la vie est pire que chez monsieur Perrault ?
j’ai connu
de frêles fillettes
que des Barbe Bleue hideux
tenaient enfermées et soumises
dans la forteresse de leurs fantasmes
mais il n’était point de sœur Anne
guettant en haut des tours,
et leurs grands frères
ne firent jamais qu’imaginer
qu’ils étaient de forts chevaliers
qui les délivraient à jamais
j’ai connu des Petits Poucet
que leurs parents conduisaient
dans des forêts noires
peuplées de vrais ogres
mais il n’y avait pas de cailloux blancs
pour retrouver la route des vivants,
pas de femmes affolées pour, vite, les cacher
et pas de bottes de sept lieues
pour très loin s’en aller […]
Vous qui craignez de raconter aux petits enfants
des histoires qui fassent peur,
savez-vous que tout près de chez vous la vie est pire que chez Monsieur Perrault ?«
Voici les références de l’ouvrage si vous souhaitez le lire: Claudie Brouillet, Jurée d’assises. Dans les abîmes de l’enfance violentée, Paris, Editions de l’Atelier, 2010